Seigneur, pourquoi m’as-tu dit d’aimer tous mes frères les Hommes ?

J’ai essayé, mais vers toi je reviens effrayée !  J’étais si tranquille chez moi. J’étais organisée, je m’étais installée. Mon intérieur était confortable et je m’y trouvais bien. Seule, j’étais d’accord avec moi-même, à l’abri du vent, de la pluie, des voyous, et je serais restée dans ma tour enfermée ! Mais à ma forteresse tu as trouvé une faille, tu m’as forcée à entrouvrir la porte. Comme une rafale de pluie en pleine face le cri des Hommes m’a réveillée. Comme un vent de bourrasque, une amitié m’a ébranlée. Comme s’insinue un rayon de soleil, ta grâce m’a inquiétée. Et j’ai laissé ma porte entrouverte, imprudente que j’étais ! Dehors, les hommes me guettaient. Ils sont entrés chez moi, les premiers. Il y avait tout de même un peu de place en mon cœur jusque-là c’était raisonnable. Mais les suivants, les autres Hommes, je ne les avais pas vus, les premiers les cachaient, ils étaient plus nombreux, ils étaient plus misérables. Ils m’ont envahie sans crier gare.  Il a fallu se resserrer, il a fallu faire de la place pour eux chez moi.Maintenant ils sont venus de partout, par vagues successives… l’un poussant l’autre, bousculant l’autre. […] Seigneur, ils me font mal, ils sont encombrants, ils sont envahissants.  Ils ont faim, ils me dévorent. Je ne puis rien faire : plus ils entrent, plus ils poussent la porte ! Et plus la porte s’ouvre. Ah ! Seigneur, j’ai tout perdu, je ne suis plus à moi. Il n’y a plus de place pour moi, chez moi !

Ne crains rien dit Dieu, tu as tout gagné ! Car tandis que les hommes entraient chez toi, moi ton Père, moi ton Seigneur, je me suis glissé parmi eux.Amen (Suzanne de Dietrich)